1. RDA = Resource, description and access : futur code international de catalogage ? par Françoise Leresche, Bibliothèque nationale de France, Département de l’information bibliographique et numérique
Résumé
Cet article présente le nouveau code de catalogage destiné à remplacer les Règles anglo-américaines de catalogage qui sera publié fin novembre 2009. Intitulé Ressource Description and Access (RDA), ce nouveau code a été créé pour adapter les catalogues de bibliothèques à l’environnement numérique qui est désormais le leur et leur permettre de participer aux initiatives du web sémantique. Après une présentation du contexte qui a conduit à l’élaboration d’un nouveau code, les principales caractéristiques de RDA sont présentées, ainsi que les perspectives qu’il offre pour l’évolution des catalogues et la présence des bibliothèques sur le web. Autant de raisons qui expliquent l’intérêt international porté à ce nouveau code.
Cet article reprend, en l’actualisant, une présentation de RDA faite le 20 avril 2009 lors de la journée professionnelle du Groupe français de l’AIBM. Une attention particulière est donc portée au traitement des ressources musicales dans RDA, en particulier dans la définition des entités Œuvre et Expression pour les œuvres musicales.
1. Introduction
L’année 2009 marque une étape importante en matière de catalogage, avec l’aboutissement de plusieurs travaux qui posent les bases, théoriques et pratiques, des catalogues à l’ère numérique. C’est d’abord la publication de nouveaux Principes internationaux de catalogage, issus de la révision des Principes de Parispour les adapter à la réalité des catalogues d’aujourd’hui. C’est aussi la poursuite des travaux de modélisation de l’information bibliographique, avec la publication du modèle FRAD(1) pour les données d’autorité et la définition du modèle FRBRoo qui exprime le modèle FRBR(2) selon le formalisme orienté-objet et opère un rapprochement décisif avec le modèle CIDOC-CRM(3). Enfin, l’année devrait se clore sur la publication d’un nouveau code de catalogage à vocation internationale, utilisant ces travaux comme fondements théoriques et visant à intégrer pleinement les catalogues de bibliothèques dans l’univers du web : RDA, Resource Description and Access.
RDA est en fait le nouveau code de catalogage destiné à remplacer les Règles de catalogage anglo-américaines (AACR)(4). C’est le Joint Steering Committee for the revision of AACR (JSC) qui en a eu l’initiative et en a piloté la réalisation, mais avec des objectifs plus ambitieux en termes de rayonnement que reflète le changement de titre du code. Le terme de catalogage a disparu pour ouvrir l’utilisation du nouveau code au-delà des bibliothèques et s’adresser également à d’autres communautés travaillant dans des secteurs connexes comme la documentation ou les archives. Il en va de même de la mention de la tradition anglo-américaine sur laquelle les règles demeurent fondées, mais qui pouvait nuire à l’ambition internationale du nouveau code.
RDA se présente comme « une nouvelle norme pour la description des ressources et les accès [à celle-ci], définie pour le monde numérique »(5). Il affiche clairement son objectif de prendre en compte le nouvel environnement numérique des catalogues, qu’il s’agisse des ressources décrites, des catalogues eux-mêmes, informatisés et accessibles sur le web, ou des outils mis à la disposition des catalogueurs pour documenter leur travail. De fait, RDA constitue une initiative essentielle pour rénover les règles de catalogage et faire évoluer la structure des catalogues afin de les adapter au contexte actuel de la recherche d’information et leur permettre de rendre les services attendus désormais par les usagers.
C’est donc ce nouveau code de catalogage qui sera présenté ici, en examinant successivement le contexte de son élaboration, ses objectifs et leur déclinaison dans les règles elles-mêmes, avec une attention particulière au traitement des ressources musicales. Cette analyse devrait permettre d’évaluer l’intérêt que peut présenter RDA pour l’évolution des catalogues et leur adaptation au monde d’aujourd’hui – et de poser en conséquence la question de son adoption comme code international de catalogage et de son application en France.
2. Aux origines de RDA
2.1 Un environnement en mutation
L’environnement des catalogues a profondément changé et impose une nouvelle approche des règles de catalogage : ce constat dressé depuis près de vingt ans, lors du Séminaire sur les notices bibliographiques réuni par l’IFLA en 1990 à Stockholm, n’a fait que s’amplifier depuis. Plusieurs facteurs y concourent.
Déjà les ressources numériques, de plus en plus nombreuses et variées, soulèvent des questions inédites auxquelles les règles actuelles, élaborées dans les années 1970, ont du mal à apporter des réponses appropriées malgré leurs révisions successives… mais souvent incomplètes.
Ainsi la notion de « sérialité » a été remise en question par les ressources intégratrices comme les bases de données ou les sites web ; la réflexion autour de cette question a abouti à la définition des « ressources continues » et à la publication en 2002 de l’ISBD(CR) pour remplacer l’ISBD(S). Dans le même temps, la question de l’articulation entre la forme matérielle de la ressource et son contenu s’est posée de manière de plus en plus criante : alors qu’auparavant, il y avait adéquation entre un contenu et une forme d’édition (par exemple, le texte ou la musique notée étaient essentiellement imprimés), les ressources électroniques dont le contenu peut être textuel, musical, iconographique ou multimédia, viennent bouleverser ce schéma. Quel aspect privilégier ? L’ISBD consolidé(6) apporte une première réponse et constitue un progrès par rapport au choix entre des ISBD spécialisés par type de ressource, mais ne réussit pas à lever toute ambiguïté.
Mais les ressources électroniques sont aussi des ressources dont le contenu peut être très riche, avec une organisation complexe et arborescente, et posent la question de la granularité de la description. Que décrit-on dans un site web ? Le site dans son ensemble ou les différentes pages qui le composent et peuvent avoir leur autonomie ? En outre, certaines ressources peuvent être publiées sous différentes formes, avec parfois des différences de contenu entre la version électronique et le support traditionnel. Ceci dessine un paysage de plus en plus complexe où les relations entre les ressources prennent une importance croissante : bien en rendre compte devient un aspect essentiel de leur description.
Un autre défi se pose pour les bibliothèques et leurs catalogues : l’inscription dans un paysage documentaire nouveau où Internet a mis en évidence l’importance des métadonnées pour la gestion des ressources, leur recherche et leur accessibilité. Si les catalogues de bibliothèques constituent des réservoirs immenses de métadonnées riches et bien structurées qui intéressent d’autres communautés d’utilisateurs potentiels dans les domaines de la recherche d’information, du commerce des biens culturels ou de la gestion des droits, ils ne sont pas encore ouverts sur le web ; leur structure actuelle et les formats MARC contribuent à cet isolement. Or dans le même temps, on assiste à une multiplication des formats de métadonnées descriptives définis par d’autres communautés que les bibliothèques : le Dublin Core(7) pour le signalement des ressources du web, ONIX(8) pour le commerce du livre, IEEE-LOM(9) pour les ressources pédagogiques ou MPEG(10) pour les ressources audiovisuelles, pour ne citer que quelques exemples. Ils peuvent être plus ou moins riches et complexes, mais tous sont exprimés en XML, le langage du web, et les bibliothèques auraient tout avantage à pouvoir échanger des métadonnées avec ces communautés et à devenir des acteurs à part entière de la production d’information sur le web. Cela devient une nécessité de plus en plus pressante avec le développement du web sémantique (ou web de données) qui permet d’exploiter les données contenues dans les ressources et de les lier entre elles : les métadonnées structurées produites par les bibliothèques ont un rôle essentiel à jouer dans ce mouvement, pour peu qu’elles soient rendues accessibles. C’est là l’enjeu majeur des prochaines années pour la présence des catalogues de bibliothèques sur le web.
Mais le web sémantique offre aussi de nouveaux outils qui induisent une nouvelle approche de l’interopérabilité : avec les systèmes de médiation que sont les ontologies, les échanges ne sont plus fondés sur une uniformisation des données et la définition de structures communes entre partenaires ; ils peuvent concerner des données hétérogènes, définies dans des applications spécifiques correspondant aux besoins particuliers de chaque communauté, qui sont mises en relation à travers les modèles conceptuels auxquels elles font référence. Or il existe une ontologie de référence dans le domaine patrimonial, le modèle CIDOC-CRM(11) , devenu une norme ISO en 2006. Avec la définition du modèle FRBRoo qui a été élaboré en visant une totale compatibilité avec le modèle CIDOC-CRM, les bibliothèques se sont dotées de l’outil qui leur permet de rendre leurs données exploitables par le web sémantique, une fois celles-ci structurées selon le modèle FRBR.
2.2 Un nouveau cadre théoriqueLa réflexion internationale en matière de catalogage, engagée à partir du constat dressé lors du Séminaire de Stockholm, a conduit à définir une nouvelle vision de l’information bibliographique et de son organisation dans les catalogues. Publié en 1998 dans le Rapport final sur les FRBR(12), le modèle FRBR a constitué une étape essentielle en ce domaine. Pour la première fois, l’information bibliographique était analysée et exprimée à travers un modèle conceptuel. Il s’agit d’un modèle entités-relations qui identifie trois grands groupes d’entités qui interviennent dans la description d’une ressource : un premier groupe de quatre entités correspondant aux produits d’une activité intellectuelle ou artistique (Œuvre, Expression, Manifestation, Item), un deuxième groupe réunissant les deux entités (Personne et Collectivité) correspondant aux agents ayant exercé une responsabilité vis-à-vis de chacune des entités du premier groupe, et enfin un troisième groupe composé des entités ayant une relation de sujet avec l’entité Œuvre ; ce dernier groupe est composé des entités des deux groupes précédents auxquelles s’ajoutent quatre entités supplémentaires (Concept, Objet, Événement, Lieu). Le modèle définit ensuite les principales caractéristiques de chaque entité (ses attributs), ainsi que les relations qui existent entre les différentes entités.
Le modèle FRBR
Enfin, et ce changement de perspective n’est pas la moindre nouveauté introduite par le modèle, les attributs et relations des entités sont analysés au regard des quatre grandes tâches effectuées par les utilisateurs lors de la consultation d’un catalogue : trouver, identifier, sélectionner et se procurer.
Le modèle FRBR s’est très vite révélé extrêmement fécond, tant pour des applications pratiques comme l’amélioration des OPAC que pour la réflexion théorique sur la structure des catalogues et leurs fonctions, et par voie de conséquence sur les règles de catalogage elles-mêmes. Tous les travaux menés depuis une décennie font référence au modèle FRBR et fondent leur analyse sur les entités et relations qu’il a définies.
Du fait de son intérêt pour l’analyse des données présentes dans les catalogues, le travail de modélisation s’est poursuivi dans deux directions qui n’avaient été qu’esquissées par le modèle FRBR, centré sur les notices bibliographiques : les notices d’autorité d’une part, la relation de sujet d’autre part.
La modélisation des notices d’autorité, engagée dès 1999, vient d’aboutir avec la publication en 2009 du modèle FRAD (Functional Requirements for Authority Data)(13). Les évolutions qui ont marqué le contexte général dans lequel s’inscrivent les catalogues et le web en particulier, notamment l’importance croissante prises par les données avec l’émergence du web sémantique, se reflètent dans le changement de vocabulaire et l’abandon de la référence aux « notices » au profit des « données » qu’elles contiennent.
La modélisation de la relation de sujet est plus tardive : le groupe de travail n’a été constitué qu’en 2005. Il vient de rendre une première version du modèle FRSAD (Functional Requirements for Subject Authority Data)(14), soumise à commentaires au cours de l’été 2009.
Enfin, comme cela a déjà été évoqué plus haut, l’IFLA s’est engagée dans un travail de modélisation du modèle FRBR selon le formalisme orienté-objet, plus compatible avec le langage du web sémantique, RDF(15). Ces travaux ont été menés conjointement avec la communauté des musées qui a élaboré le modèle CIDOC-CRM et permettent une articulation optimale entre les deux modèles. Une première version du modèle FRBRoo(16) a été publiée en mai 2009. Cette version correspond aujourd’hui au seul modèle FRBR, mais a vocation à prendre en compte les modèles FRAD et FRSAR au fur et à mesure de leur publication pour fournir un modèle global de l’information gérée par les catalogues de bibliothèques.
Le cadre théorique apporté par le modèle FRBR a permis d’interroger les règles de catalogage et les principes qui les sous-tendent en les confrontant à la réalité des catalogues d’aujourd’hui.
Le travail de révision des Principes de Paris(17), devenus largement obsolètes, a été engagé par l’IFLA en 2003. Il a été mené au cours du cycle des conférences de l’IME-ICC (IFLA Meeting of Experts for an International Cataloguing Code)(18) et a abouti à la publication, début 2009, de nouveaux Principes internationaux de catalogage(19).
Les nouveaux Principes ont été élaborés pour des catalogues en ligne et prennent en compte les nouvelles possibilités que l’informatique offre en matière de points d’accès, de stratégies de recherche et de navigation. Ils adoptent une démarche globale et envisagent les différents aspects des catalogues et des notices qu’ils contiennent : des catalogues qui décrivent une grande variété de documents, avec une part croissante de ressources électroniques ; des catalogues qui offrent des points d’accès variés dont certains (accès par les titres des œuvres et des expressions, par les créateurs des œuvres, par les sujets des œuvres) sont contrôlés par des notices d’autorité, tandis que d’autres (comme les numéros d’identification internationaux normalisés ou les dates) peuvent être directement issus de la description bibliographique.
Surtout les nouveaux Principes s’inscrivent dans la continuité de la démarche adoptée par le modèle FRBR auquel ils font explicitement référence : ils définissent les fonctions d’un catalogue à partir des tâches des utilisateurs et expriment leurs recommandations à travers les entités et les relations fondamentales du modèle FRBR. Comme ce dernier, ils mettent l’utilisateur au premier plan et énoncent comme premier principe le confort de recherche de l’utilisateur du catalogue. Mais les nouveaux Principes ont aussi été élaborés dans la perspective de la préparation d’un code international de catalogage : ils s’ouvrent d’ailleurs sur une liste des objectifs qui doivent guider l’élaboration d’un code de catalogage, objectifs au premier rang desquels on retrouve le confort de recherche de l’utilisateur. Avec les Principes internationaux de catalogagede 2009, le modèle FRBR est installé au cœur de la définition des règles de catalogage. Dans le même temps, il est pris acte de l’informatisation des catalogues et de leur nécessaire insertion dans l’univers du web : cela se traduit par une évolution du vocabulaire qui abandonne toute référence, même lointaine, à la présentation des fiches (on ne parle plus de « vedettes » mais de « points d’accès contrôlés ») et qui glisse progressivement des « notices » vers les « données ».
2.3 Des AACR à RDA
Participant du même mouvement général de remise en cause des règles définies avant l’informatisation des catalogues et l’explosion des ressources numériques, le besoin de faire évoluer les AACR2 s’est fait jour dès les années 1990. La conférence organisée à Toronto en 1997(20) avait identifié cinq questions majeures : deux d’entre elles, la notion de sérialité et l’articulation entre le contenu et la forme d’édition, sont liées au développement des ressources numériques et reprennent des questions déjà identifiées en 1990 lors du Séminaire de Stockholm sur les notices bibliographiques ; les trois autres sont propres aux AACR2 et définissent des améliorations à apporter au code de catalogage : faire reposer le code sur des principes de catalogage, renforcer la structure logique des AACR, viser davantage une utilisation internationale du code.
La publication l’année suivante du Rapport final sur les FRBR apportait le cadre théorique pour mener cette révision. Mais c’est l’ouverture du chantier de l’IME-ICC et la préparation des nouveaux Principes internationaux de catalogage qui a donné le coup d’envoi aux travaux de révision des AACR2. En 2003, il ne s’agissait encore que de préparer des AACR3. C’est en 2005 que la décision d’un changement plus radical a été prise. Le nouveau code en préparation répondrait aux questions identifiées lors de la Conférence de Toronto, il serait élaboré pour des catalogues informatisés et permettrait de décrire de manière satisfaisante les ressources électroniques, il prendrait en compte le modèle FRBR et serait conforme aux principes internationaux en cours d’élaboration, mais il ne se situerait plus dans la continuité des AACR. Un nouveau titre pour un nouveau code : RDA, Resource Description and Access était né.
3 Principales caractéristiques de RDA
3.1 Objectifs de RDA
RDA répond à un projet ambitieux : élaborer un nouveau code de catalogage pleinement adapté au monde numérique, qui élargisse son audience au-delà du monde des bibliothèques et de la tradition anglo-américaine de catalogage et favorise par là l’interopérabilité. Cette ambition se décline au niveau de l’élaboration des règles, des notices produites conformément à ces règles et du statut du code de catalogage lui-même.
RDA se propose de définir des règles qui permettent de décrire tous les types de ressources, et les ressources électroniques en particulier, en rendant compte de manière précise à la fois du contenu de la ressource et de sa présentation matérielle. Ces règles doivent être fondées sur les documents de référence définis au niveau international par l’IFLA, en particulier les nouveaux Principes internationaux de catalogageet les modèles de l’information bibliographique publiés à ce jour, FRBR et FRAD. Elles doivent être compatibles avec les normes reconnues au niveau international, en particulier avec l’ISBD que les Principes internationaux de catalogage citent comme norme de référence pour la description bibliographique.
Ces règles doivent permettre de produire des notices qui répondent aux besoins des utilisateurs des catalogues. Afin de ménager la transition des catalogues vers une nouvelle structure, les notices rédigées selon RDA doivent être compatibles avec les notices présentes dans les catalogues actuels, établies selon les AACR2, mais en même temps être utilisables dans l’environnement du web et adaptables dans les structures émergentes de bases de données comme les bases de données orientées objet. Pour cela, RDA se définit comme une norme de contenu, dont les règles sont indépendantes du format et du système utilisé pour créer, stocker ou communiquer les données ; l’accent est mis sur les données utiles pour répondre aux besoins des utilisateurs, non sur leur présentation ou leur encodage.
Bien que rédigé en anglais et fondé sur la tradition anglo-américaine de catalogage, RDA a été élaboré avec le souci d’en faire un code à vocation internationale, qui puisse être facilement utilisé par d’autres communautés linguistiques, mais aussi un code ouvert qui puisse être facilement adapté pour répondre aux besoins d’autres communautés que celle des bibliothèques auxquelles il est prioritairement destiné. Enfin, en cohérence avec la volonté d’être un code adapté à l’environnement numérique des catalogues et du travail des catalogueurs, le code lui-même a été conçu pour être un outil en ligne, publié sous la forme d’un site web.
Telles sont les ambitions affichées par le Joint Steering Committee for development of RDA(21) qui a piloté l’élaboration du nouveau code. Il reste à examiner comment ces objectifs sont réalisés à travers le code lui-même, selon le texte du dernier projet(22) soumis à commentaires au tout début de l’année 2009.
3.2 RDA et les documents de référence en matière de catalogage
Répondant au besoin exprimé par la Conférence de Toronto, RDA est désormais fondé sur des principes de catalogage : il fait explicitement référence aux Principes internationaux de catalogage issus du cycle de l’IME-ICC et publiés par l’IFLA en 2009. Il en reprend la définition des fonctions d’un catalogue, ainsi que certains des objectifs des règles de catalogage. Économie, suffisance et nécessité, représentativité, exactitude et usage commun : ces cinq objectifs retenus par RDA sont directement issus des Principes internationaux de catalogage de l’IFLA. RDA en ajoute deux autres, la cohérence et l’uniformité d’une part, la préférence linguistique d’autre part.
La mise en application de ces principes conduit à bousculer certaines traditions bien ancrées dans la description bibliographique. Ainsi, en vertu de l’objectif de l’usage commun, RDA abandonne certaines abréviations conventionnelles et les remplace par une expression dans la langue du catalogue : par exemple, un lieu de publication inconnu n’est plus indiqué par l’abréviation latine [S.l.], mais par la mention [Place of publication not identified]. Quant à la préférence linguistique, elle est généralisée pour le choix de la forme retenue pour les points d’accès contrôlés.
La relation de RDA avec les modèles de l’information bibliographique est encore plus étroite : les modèles FRBR pour les notices bibliographiques et FRAD pour les données d’autorité sont au cœur de RDA. L’ensemble du code est conçu à partir des entités du modèle FRBR : décrire les caractéristiques (ou attributs) de chaque entité, les relations que ces entités peuvent avoir entre elles, et associer chaque élément de données ainsi défini aux tâches des utilisateurs du catalogue, telle est la démarche retenue par RDA.
L’organisation générale du code en est le reflet. Il se compose en effet de dix sections, réparties en deux grands groupes consacrés respectivement à la description des attributs des entités d’une part et à celle des relations entre les entités d’autre part. À l’intérieur de chaque section, les chapitres correspondent chacun à une entité particulière du modèle FRBR et chaque chapitre est associé à une (ou plusieurs) tâches des utilisateurs du catalogue, faisant ainsi le lien entre les fonctions du catalogue et les règles de catalogage.
La description bibliographique est ainsi abordée à travers les attributs de l’entité Manifestation, puis à travers les liens entre des Œuvres, des Expressions, des Manifestations ou des Items. Les notices d’autorité sont couvertes par les attributs des entités Œuvre et Expression d’une part, et des entités Personne, Collectivité et Famille d’autre part, puis par les liens entre des instances de ces mêmes entités. Enfin, les points d’accès à la description bibliographique correspondent aux relations structurelles entre les entités Œuvre, Expression, Manifestation et Item pour les accès titres, et aux relations entre une ressource et les entités Personne, Collectivité et Famille pour les accès de responsabilité.
Il convient de noter que, dans l’attente de la publication du modèle FRSAD, les attributs et relations des entités spécifiques à l’indexation matière (le Groupe 3 du modèle FRBR) ne sont pas traités par RDA, même si leur place est réservée dans l’organisation générale du code.
En revanche, si la référence à l’ISBD est maintenue par RDA, c’est dans une conception étroite qui prévaut déjà dans les AACR2 : l’ISBD est considéré comme un schéma général de la description bibliographique qui en définit les éléments, fixe leur répartition en zones et leur ordre à l’intérieur d’une zone, ainsi qu’une ponctuation conventionnelle pour introduire ces éléments. Les règles précises de l’ISBD pour le choix et la transcription des éléments ne sont déjà pas prises en compte par les AACR2 et RDA poursuit dans cette voie. Il assimile donc l’ISBD à une option d’affichage parmi d’autres qui fait l’objet d’une annexe (Annexe D.2) et peut en ce sens prétendre être conforme à l’ISBD.
Car RDA se définit d’abord comme une norme de contenu qui s’attache à la définition des éléments de l’information bibliographique et à leurs relations avec les entités FRBR et avec les tâches des utilisateurs du catalogue. Il entend donc se détacher des conventions de présentation comme des formats d’encodage de l’information bibliographique : l’ordre des éléments ou la ponctuation prescrite de l’ISBD, qui avaient une fonction de balisage lorsque les catalogues étaient sur fiches, ne sont plus que des conventions dont on peut s’affranchir. Cependant les rédacteurs du code ne sont pas allés jusqu’au bout de leur logique : une ponctuation conventionnelle est maintenue à l’intérieur de certaines règles, comme pour la description matérielle et la transcription des noms dans les points d’accès privilégiés.
Ce qui vaut pour le schéma de l’ISBD vaut aussi pour les formats. Les règles sont indépendantes du format utilisé pour encoder l’information : on peut créer une notice conforme à RDA en MARC 21 (les annexes D.3 et E.3 établissent la correspondance entre RDA et MARC 21, respectivement pour les notices bibliographiques et pour les notices d’autorité), mais aussi en Dublin Core (ce sera l’objet de l’annexe D.4), en MODS ou dans d’autres formats.
À ce titre, le travail mené avec la communauté des utilisateurs du Dublin Core est très intéressant et porteur d’avenir. En effet, le DCMI RDA Task Group, créé en 2007, n’a pas seulement pour objectif de développer un profil d’application du Dublin Core pour rendre compte de RDA. Il s’est engagé dans un travail de définition d’un espace de noms pour RDA et d’attribution d’URI(23) tant aux éléments (les entités et leurs attributs) qu’aux référentiels (listes de valeurs) définis par RDA. Cela permettra d’exprimer en RDF les métadonnées produites conformément à RDA, et donc à terme de les rendre interopérables avec d’autres initiatives du web sémantique.
3.3 RDA et l’évolution des catalogues
Aujourd’hui, les catalogues de bibliothèque sont structurés en format MARC et sont constitués de trois fichiers reliés entre eux : des notices bibliographiques, auxquelles sont liées les notices d’exemplaires (les seules à ne pas être obligatoirement en format MARC) ainsi que des notices d’autorité contrôlant les points d’accès. Mais cette structure a vieilli et isole les catalogues dans l’univers du web ; elle doit évoluer pour se rapprocher de la structuration de l’information selon les modèles orientés-objet et les structures relationnelles, condition pour ouvrir les catalogues de bibliothèques vers les applications du web sémantique.
RDA veut permettre cette mutation et envisage une nouvelle structure des catalogues fondée sur le modèle FRBR : l’information bibliographique n’y serait plus enfermée dans des notices closes sur elles-mêmes, mais constituée de données reliées entre elles et organisées autour des entités FRBR. RDA se voulant indépendant des formats, le format associé à cette nouvelle structure n’est pas mentionné, mais ce pourrait être un format exprimé en RDF.
Toutefois, il faut être réaliste et tenir compte des millions de notices MARC présentes dans les catalogues actuels. La compatibilité avec celles-ci fait aussi partie des objectifs de RDA. La transition ne peut donc être que progressive. Dans un premier temps, la structure actuelle des catalogues est maintenue avec son corollaire, l’utilisation des formats MARC. Un groupe de travail a été constitué en 2008 pour définir les évolutions du format MARC 21 nécessaires à la mise en œuvre de RDA. Un travail similaire devra être effectué pour les autres formats. Ainsi, le Permanent UNIMARC Committee l’a déjà inscrit à son programme de travail pour 2010, une fois le nouveau code publié et les évolutions du format MARC 21 connues et documentées.
Mais ce n’est qu’une étape transitoire : dans l’implémentation complète, les différentes entités du modèle FRBR font l’objet de descriptions autonomes mais liées. Cette nouvelle structure met en évidence les entités Œuvre et Expression dont la description est aujourd’hui étroitement mêlée à celle de la Manifestation au sein des notices bibliographiques.
Nouvelle structure du catalogue selon RDA
Cette nouvelle structure permettra un affichage des résultats d’une recherche selon le modèle FRBR, sans connaître les limites des expérimentations actuelles fondées sur l’exploitation des données codées (langue, type de ressource) pour repérer les différentes Expressions d’une même Œuvre. Cela devrait rendre les OPAC plus lisibles, en particulier dans le cas d’œuvres abondamment éditées, et par là assurer un plus grand confort de recherche aux utilisateurs du catalogue.
3.4 RDA et la description des ressources
RDA veut définir des règles adaptées à l’environnement numérique des catalogues. Déjà il prend acte que les catalogues eux-mêmes sont informatisés et que la capacité de stockage de l’information n’est plus un problème. Il est donc désormais possible d’abandonner la référence à la présentation des fiches. Cela se traduit dans le vocabulaire utilisé : comme dans les Principes internationaux de catalogage, on ne parle plus de « vedettes » mais de « points d’accès », contrôlés ou non. Surtout, cela se manifeste dans les règles mêmes, avec ici encore le souci d’accroître le confort de recherche des utilisateurs : ainsi, la fin de l’emploi des abréviations et leur remplacement par des mentions explicites dans la langue du catalogue, et plus important encore pour la recherche, l’abandon de la règle de ne transcrire que trois noms dans le cas d’intervenants multiples. RDA y substitue une plus grande liberté, en fonction des objectifs du catalogue : le premier nom est obligatoire, mais il est également possible de les transcrire tous, si cela est jugé utile pour les utilisateurs, et de créer tous les points d’accès associés, puisque l’informatique permet de multiplier les points d’accès et les clés de recherche.
Mais il insère également le catalogage dans une chaîne de production de métadonnées où interviennent d’autres acteurs, à commencer par les créateurs de la ressource ou les éditeurs. Les règles sont conçues pour permettre la récupération automatique des données descriptives. Ceci explique une règle mise en avant par RDA : la transcription des informations en respectant totalement la présentation sur la ressource, sans interpolation du catalogueur, les éventuelles erreurs ou inexactitudes étant signalées en note. Dans le même but, tout un travail a été conduit avec la communauté des éditeurs pour définir des référentiels communs avec ONIX, en particulier pour les éléments « content type » (type de contenu), « media type » (catégorie de ressource), « carrier type » (type de support). Cela ouvre donc la voie à la possibilité de générer automatiquement certains éléments de la description bibliographique, soit par récupération directe des données d’une ressource électronique, soit par récupération des métadonnées créées par les créateurs ou par les éditeurs de la ressource.
L’un des objectifs fixés à une révision des AACR était dès la conférence de Toronto la clarification de l’articulation entre le contenu d’une ressource et sa forme d’édition, manifestée à travers sa présentation matérielle. La référence étroite au modèle FRBR permet de rendre compte de manière optimale de ces différents aspects qui sont associés à des entités différentes du modèle. En ce qui concerne le contenu de la ressource, les informations sont réparties entre l’Œuvre dont relève la forme de l’œuvre (par exemple : poème, symphonie, opéra, etc.) et l’Expression caractérisée par le type de contenu (par exemple : texte, parole, son, musique notée, interprétation musicale, etc.). Les informations relatives à la présentation matérielle sont en revanche des attributs de la Manifestation et sont déclinées selon deux niveaux de précision : un niveau générique indiquant s’il y a médiation entre l’usager et le contenu de la ressource, et si oui de quel type (par exemple : audio, vidéo, électronique, etc., mais pas de médiation pour de la musique notée imprimée ou manuscrite), et un niveau spécifique correspondant à la présentation matérielle précise (par exemple : feuille, volume pour de la musique notée imprimée ou manuscrite, disque audio, cassette, bande, etc. pour des ressources sonores, ou encore ressource en ligne, disque, disquette, etc. pour des ressources électroniques). Cela permet une description complète des différents aspects d’une ressource, avec une articulation précise des informations au niveau pertinent. Les listes de valeurs associées à ces quatre éléments ont été définies conjointement avec la communauté des éditeurs et sont communs à RDA et à ONIX, permettant une récupération facile lors du catalogage de l’information fournie par les éditeurs.
3.5 Les ressources musicales dans RDA
Il semble qu’il y ait eu des discussions importantes au sein de la communauté des usagers des AACR2 sur la description des ressources musicales, le projet ayant varié au cours du temps, d’une version soumise à enquête à l’autre. Lors du vote sur le projet final, c’était la proposition défendue par la Bibliothèque du Congrès qu’il était demandé de commenter(24), mais ce texte n’était pas intégré dans le corps du texte du projet. Il est donc vraisemblable que des modifications significatives soient intervenues depuis l’enquête et que le texte officiel qui sera publié fin novembre 2009 ait évolué par rapport à cette proposition. Il n’en demeure pas moins intéressant d’examiner l’analyse faite par RDA sur l’identification et la description des différentes entités à partir du cas particulier des ressources musicales et de la comparer à l’analyse française pour identifier les points où des divergences peuvent exister, ainsi que leur ampleur.
Pour l’entité Œuvre, seuls deux éléments d’identification sont définis comme obligatoires : le titre privilégié de l’œuvre et l’identifiant de l’œuvre. Les autres éléments d’identification ne sont déclarés obligatoires que s’ils sont nécessaires pour distinguer deux œuvres. Il s’agit de la forme de l’œuvre, de sa date, de son lieu d’origine et des autres caractéristiques de l’œuvre, mais aussi de la distribution instrumentale, de la tonalité et des références numériques qui sont des éléments d’identification essentiels pour les œuvres musicales et qui, de l’avis français, devraient être obligatoires pour ces dernières.
Le point d’accès privilégié pour l’œuvre est un accès Auteur / Titre construit à partir des formes privilégiées définies pour chacun des deux éléments constitutifs du point d’accès.
Pour l’entité Expression, le point d’accès privilégié est à son tour le point d’accès privilégié pour l’œuvre, complété par des éléments identifiant l’expression. Ces éléments d’identification de l’Expression se répartissent entre deux éléments définis comme obligatoires – l’identifiant de l’expression et le type de contenu – et d’autres éléments qui ne sont obligatoires que s’ils sont nécessaires pour distinguer deux expressions : il s’agit de la date de l’expression, de sa langue et des autres caractéristiques distinctives de l’expression parmi lesquelles figure la mention d’arrangement ou de transcription.
Cette définition des éléments d’identification de l’Expression présente plusieurs divergences majeures avec l’analyse française. Du point de vue français, elle est trop étroite car elle se limite aux cas présentant des modifications par rapport à l’œuvre originale que sont les arrangements et transcription d’une part, et des partitions vocales ou les partitions des chœurs d’autre part. Elle ne considère pas du tout la mention d’interprétation comme un élément d’identification de l’Expression, mais comme un simple élément de description du contenu, au même titre que la notation musicale, la présentation musicale ou la durée. Selon l’analyse française, la mention d’interprétation devrait être un élément d’identification obligatoire de l’Expression. Dans l’état actuel des règles, RDA occulte complètement la question de l’identification des expressions que représentent les différentes interprétations d’une œuvre originale.
Une autre divergence d’analyse porte sur les arrangements et transcriptions que RDA traite systématiquement comme des expressions, tandis que la pratique française est de considérer qu’il y a nouvelle œuvre quand l’arrangement ou la transcription a reçu un numéro de catalogue thématique dans l’œuvre de son auteur.
D’autres divergences existent qui ne concernent pas l’identification des différentes entités, mais des traitements particuliers. Ainsi, le traitement des compilations pour lesquelles RDA prévoit la création de titres d’œuvres qui peuvent être soit un titre conventionnel (par exemple, Selections), soit un titre reflétant exactement le contenu de la manifestation (par exemple : Ungarische Tänze. Nr 5-6). Cela conduit à la création et à la multiplication d’œuvres factices qui ne sont que le reflet d’une pratique éditoriale. Les commentaires français ont insisté sur le danger d’une telle pratique et recommandent au contraire de traiter une compilation au niveau de la Manifestation, puisque c’est l’éditeur qui opère la sélection des œuvres. Mais l’analyse de RDA n’est pas sans évoquer la classe de l’Œuvre Agrégative définie par FRBRoo. Le traitement des agrégats dans le modèle FRBR est complexe et fait d’ailleurs l’objet d’un groupe de travail spécifique de l’IFLA(25) : cette question est donc sans doute amenée à évoluer encore avant que ne soit défini un traitement satisfaisant, à la fois du point de vue pratique et du point de vue conceptuel.
3.6 Un code de catalogage ouvert
RDA est conçu pour pouvoir être utilisé très largement. Dans les bibliothèques d’abord, qui constituent la première communauté à laquelle il est destiné : dans des bibliothèques de types très différents, depuis les bibliothèques nationales jusqu’à la bibliothèque de quartier, en passant par les bibliothèques universitaires et de recherche et les grands réseaux de lecture publique ; mais aussi dans les bibliothèques du monde entier, au-delà du monde anglo-américain dont les règles sont issues. C’est pourquoi les règles sont rédigées avec un certain souci de neutralité linguistique, même si ce dernier atteint très vite ses limites, afin de favoriser la traduction du nouveau code dans de nombreuses langues.
Mais RDA veut également s’adresser à d’autres communautés proches de celle des bibliothèques, comme celles de la documentation, de l’éducation, des archives ou encore des musées. RDA prend en compte certains éléments de la description archivistique, comme la notion de production de documents d’archives avec une reconnaissance du rôle essentiel du producteur d’un fonds, et offre la possibilité de signaler des fonds d’archives dans les catalogues de bibliothèques – même si la description archivistique détaillée et hiérarchisée relève d’autres normes(26). Mais les passerelles entre les outils de description sont ainsi facilitées.
Cette volonté d’ouverture se traduit dans la souplesse des règles qui sont définies. Peu d’éléments sont déclarés obligatoires, tandis que des exceptions à la règle générale sont très fréquemment autorisées : ce peuvent être de véritables variantes de traitement, mais aussi des additions ou omissions facultatives. RDA offre un cadre général et peu contraignant où, selon leurs besoins et ceux de leurs utilisateurs, les bibliothèques pourront définir leur profil d’application de RDA. Le Groupe de révision de l’ISBD de l’IFLA s’est d’ailleurs ému du fait que certains éléments obligatoires de l’ISBD sont déclarés facultatifs par RDA, et a envoyé un courrier au JSC pour lui demander de prévoir une annexe définissant un profil d’utilisation de RDA pour les bibliographies nationales où tous les éléments de l’ISBD soient présents.
4 Vers un code international de catalogage
Lorsque le cycle de réunions de l’IME-ICC a été engagé en 2003, la révision des principes internationaux de catalogage était présentée comme la première étape, indispensable, en vue de l’élaboration d’un code international de catalogage. Simultanément, le JSC mettait en chantier la révision des AACR2, chantier dont est directement issu RDA. Cette concordance des calendriers n’est pas innocente et révèle l’ambition implicite des rédacteurs du nouveau code : faire de RDA LE futur code international de catalogage, inscrit dans la continuité des travaux de l’IME-ICC, et donc reconnu et promu par l’IFLA.
Dans cette perspective, le JSC a décidé d’ouvrir le processus de révision et de consulter les représentants des autres traditions catalographiques, en particulier européennes, sur les différents projets qui ont ponctué les étapes d’élaboration du nouveau code. C’est ainsi que la France, par l’intermédiaire du groupe AFNOR(27)chargé de suivre les évolutions des règles de catalogage, a examiné les différents états du texte de RDA et a envoyé des commentaires(28) au JSC, comme l’ont fait l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et d’autres pays européens, plus ou moins proches de la tradition catalographique anglo-américaine.
Ce processus ouvert d’élaboration du code renforce la position de RDA comme candidat potentiel pour devenir le futur code international de catalogage de l’IFLA. Mais il a d’autres atouts pour cela.
C’est un code de catalogage complet qui couvre à la fois les données bibliographiques, les données d’autorité et les relations entre ces données. Il permet de traiter tous les types de ressources, et aborde non seulement leur description bibliographique, mais aussi le choix des accès à cette description et le contrôle des points d’accès structurés. Si ces points d’accès sont limités aux accès titres et aux accès reflétant des responsabilités dans la version de RDA qui sera publiée à la fin de l’année 2009, il est prévu que les points d’accès matière soient également présents dans la version complète du code. Leur place est déjà réservée dans le plan général.
En cela, RDA est conforme aux nouveaux Principes internationaux de catalogage qui définissent une vision globale du catalogue. Mais il l’est également par sa référence étroite aux modèles de l’information bibliographique, FRBR et FRAD : les entités et relations qu’ils ont définies sont placées au cœur des règles de catalogage et, comme dans ces modèles, les éléments de la description sont mis en relation avec les tâches fondamentales des utilisateurs du catalogue. RDA fait aussi référence à l’ISBD pour la description bibliographique comme le demandent les Principes internationaux de catalogage, bien que cette relation soit assez lointaine et limitée au schéma général de l’ISBD et que les règles données par RDA s’écartent souvent de celles données par l’ISBD en matière de transcription.
Enfin, destiné à être appliqué par la communauté des utilisateurs des AACR2 qu’il remplace, RDA jouit déjà du statut de code « supranational » de fait, puisqu’il sera utilisé dans la totalité de l’Amérique, en Australie, en Grande-Bretagne et dans un certaines nombres de pays d’Afrique ou d’Asie. En cela, il se distingue d’autres codes, fondés aussi sur les FRBR, mais élaborés dans un cadre strictement national, comme les nouvelles REICAT (Regole Italiane di Catalogazione)(29) publiées en 2009 en Italie.
Enfin, et ce n’est pas son moindre intérêt, RDA est issu d’une réflexion bibliographique approfondie et rigoureuse, mais aussi novatrice et stimulante, qui a été menée avec un souci d’ouverture : prise en compte des autres analyses bibliographiques et surtout orientation vers les mutations du monde numérique dans lequel les bibliothèques s’inscrivent désormais. RDA a pour objectif de conduire les catalogues de bibliothèques vers le web sémantique pour les inscrire pleinement dans la société de l’information et éviter leur marginalisation. C’est une étape essentielle pour l’avenir des bibliothèques et RDA représente un outil pour y parvenir.
L’intérêt de nombreux pays pour RDA vient de là. C’est ainsi qu’un groupe d’intérêt européen pour RDA (European RDA Interest Group, EURIG(30)) vient d’être constitué en 2009, pour avoir un lieu d’échange entre pays européens sur l’opportunité d’adopter RDA, les modalités de la mise en œuvre de RDA dans les différents pays et les problèmes à résoudre, et aussi pour servir d’interlocuteur privilégié du JSC pour l’Europe.
Cette initiative européenne s’est mise en place lors du dernier congrès de l’IFLA à Milan, en août 2009. Car la Section de catalogage de l’IFLA aussi s’intéresse beaucoup à RDA : elle a organisé un séminaire pour présenter RDA lors du congrès de 2008, à Québec, et prévoit d’en organiser un autre en 2011, à Porto Rico, pour présenter un premier bilan de l’implémentation de RDA dans les bibliothèques anglo-américaines. En 2010, c’est une journée européenne sur RDA qui est prévue en marge du congrès de Göteborg pour permettre une rencontre entre le JSC et les membres de l’EURIG. Du fait de la forte présence anglo-américaine au sein de la Section de Catalogage, l’IFLA participe même à une certaine promotion de RDA, comme en témoigne la publication sur son site d’une annonce(31) sur la mise en œuvre de RDA par la Bibliothèque du Congrès, Bibliothèque et Archives Canada, la Bibliothèque nationale d’Australie et la British Library, avec la justification de ce choix. RDA s’affirme donc comme un code de catalogage soutenu et promu par l’IFLA, même si la promulgation d’un « code international de catalogage » n’est pas à l’ordre du jour des travaux de la Section de Catalogage.
La France aussi s’intéresse beaucoup à RDA dont elle a pu suivre l’élaboration à travers les enquêtes sur les différentes versions du projet. La perspective de voir RDA devenir le code international de catalogage recommandé par l’IFLA a été le premier mobile de sa participation à l’élaboration de RDA : il semblait plus efficace de faire connaître au JSC l’analyse catalographique française et de défendre l’approche française sur certains points sensibles (comme le rôle des interprètes) dès l’élaboration du code, afin de faire évoluer les règles et donc d’être en mesure de les appliquer un jour.
Ce suivi a permis de mesurer l’ampleur et la qualité du travail de rénovation des règles qui a été mené par le JSC, ainsi que les perspectives innovantes offertes en matière de structuration des catalogues et d’ouverture vers le web sémantique, alors que la France n’a pas les moyens pour mener un travail d’une telle ampleur. Les règles de catalogage n’intéressent pas les bibliothèques françaises qui ne participent pas aux travaux de normalisation et ne se positionnent qu’en utilisatrices de normes définies ailleurs. De ce fait, il n’y a pas de véritable réflexion catalographique diffusée dans la profession, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple, et les forces manquent pour entreprendre une rénovation équivalente des normes AFNOR de catalogage.
C’est pourquoi la question se pose en France de remplacer par RDA les normes AFNOR dont les fondements, avec les ISBD et les Principes de Paris, reposent sur une analyse qui reflète la situation des catalogues au début de la seconde moitié du XXe siècle. Adopter RDA permettrait aux bibliothèques françaises d’entrer pleinement dans le XXIe siècle et dans l’univers numérique qui le caractérise. Mais une telle décision marquerait un tournant décisif dans la pratique française. Elle ne peut être prise à la légère et nécessite une réflexion préalable pour en mesurer l’opportunité et les impacts, en termes d’évolution des SIGB, de migration des notices existantes vers la nouvelle structure de l’information bibliographique, de récupération de notices, de formation aussi, et au final de coût pour les bibliothèques françaises. Il est donc prévu de constituer en 2010 un groupe national de réflexion sur l’adoption de RDA en France, réunissant les différents acteurs concernés (ministères de tutelle, responsables de bibliothèques, gestionnaires de catalogues, fournisseurs de SIGB), pour étudier ces différents aspects et préparer une décision. La participation de la France à l’EURIG permettra une articulation avec les problématiques des autres pays européens et les stratégies d’implémentation qu’ils décident de mettre en œuvre ; elle constitue un apport très intéressant et instructif dans cette démarche.
5 Conclusion
En vingt ans, les bibliothèques ont connu des mutations considérables : leurs catalogues sont désormais informatisés et disponibles sur le web. Mais ils demeurent fermés sur eux-mêmes, dans une structure dictée par les formats MARC, et inaccessibles aux moteurs de recherche. Il leur faut aujourd’hui franchir une nouvelle étape et s’ouvrir davantage pour aller à la rencontre de leurs utilisateurs sur le web et permettre l’exploitation par d’autres applications des métadonnées riches et structurées qu’ils contiennent. Les bibliothèques et leurs catalogues peuvent participer pleinement au web sémantique et au réseau de mise en relation des données. Mais pour cela, la structure des catalogues doit évoluer.
Le modèle FRBR propose une organisation nouvelle des données bibliographiques qui a déjà montré ses potentialités pour l’amélioration des OPAC et la présentation des résultats d’une recherche. Cette organisation s’avère également très prometteuse pour faire évoluer les catalogues et les adapter aux nouveaux modes de structuration et de diffusion de l’information, en particulier à travers les technologies du web sémantique. C’est pourquoi placer les entités du modèle FRBR au cœur des règles de catalogage et préparer la création des données bibliographiques à partir de ces entités et de leurs relations n’est pas seulement une approche novatrice et stimulante, mais une démarche pragmatique et efficace, utile et nécessaire pour que les catalogues de bibliothèques continuent de jouer pleinement leur rôle dans le paysage documentaire.
RDA a opéré cette révolution et a abandonné l’organisation traditionnelle des règles de catalogage entre description bibliographique et points d’accès gérés dans des notices d’autorité pour inaugurer une nouvelle approche des règles de catalogage, au plus près des entités du modèle FRBR. Il veut ainsi répondre au défi que représente pour les bibliothèques l’intégration dans l’univers numérique, et dans celui du web en particulier. C’est là son grand mérite et son principal intérêt.
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Françoise Leresche,
Bibliothèque nationale de France,
Département de l’information bibliographique et numérique