Documentation professionnelle

7. Le fonds Orgeret de la Bibliothèque municipale de Lyon : inventaire et EAD = Encoded archival description

Constitué du milieu du XIXe siècle au début du XXIe siècle par une famille de libraires et d’éditeurs de musique lyonnais, dont les activités ont perduré pendant cinq générations, le fonds Orgeret est un fonds spécialisé dans la chanson. La maison Orgeret est associée à Jean-Marie Orgeret, qui a poursuivi ses activités de la fin du XIXe siècle à 1930, et surtout à son fils Max qui a prolongé et intensifié les travaux d’édition musicale amorcés par son père, des années 1930 aux années 1950 essentiellement. Lorsqu’il est décédé en 1978, son épouse a tenu la librairie aux côtés de leur fils cadet Jacques. En 2004, celui-ci a cessé son activité et fermé la boutique. En raison de son importance, le fonds a alors été signalé par le Musée de l’Imprimerie de Lyon à la Bibliothèque municipale de Lyon, qui l’a acheté en novembre 2004 pour la somme de 60 000 euros. Le fonds est désormais géré par le département de la Documentation régionale Lyon et Rhône-Alpes de la bibliothèque centrale de la Part-Dieu.
Le fonds Orgeret se caractérise principalement par la diversité de ses composantes : il comprend à la fois, outre des collections très importantes de partitions, toutes les archives de l’entreprise, une bibliothèque sur la chanson, et du matériel d’impression musicale.
La présentation suivante du fonds Orgeret a pour base le travail que j’ai réalisé au cours de mon stage d’étude de septembre à novembre 2005 sur les archives de l’entreprise : après une description des grandes composantes du fonds et des activités qu’il laisse entrevoir, j’aborderai les thématiques principales qui s’y rattachent.

Les grandes composantes du fonds

Le fonds Orgeret est un fonds d’un volume très important, qui représente 147 cartons de type « déménagement » ; les piles de feuilles de chansons et de textes contenues dans la boutique avant la vente du fonds ont été évaluées à 30 m linéaires, 2 cm représentant 100 chansons, soit 150 000 doubles feuilles auxquelles s’ajoutent 150 boîtes de plaques en zinc et de pierres lithographiques ayant servi à l’impression des partitions. C’est un fonds composite, dont le contenu mêle des supports de différents types, et s’organise en plusieurs grandes parties :

  • Il comprend d’abord tous les documents d’archives de l’entreprise. Ceux-ci représentent une quinzaine de cartons, qui retracent le travail de la librairie et de la maison d’édition familiale dans la période où s’est développé le travail d’édition musicale, c’est-à-dire de la fin du XIXe siècle au début des années 1970 ; une grande partie des archives était consacrée aux dossiers de Max Orgeret, et sont datés des années 1930 aux années 1950.
  • Les partitions constituent la majeure partie du fonds Orgeret : elles représentent une centaine de cartons, et se rattachent aux activités de librairie de l’entreprise. Il s’agit aussi bien d’œuvres éditées par Jean-Marie et Max Orgeret que de partitions d’autres éditeurs de musique vendues en magasin : ce sont essentiellement des chansons, mais aussi des saynètes lyonnaises et des pièces de théâtre en un acte, des partitions d’opéras et des méthodes instrumentales.
  • La bibliothèque personnelle de Max Orgeret contient, outre des œuvres classiques et des documents sur la philatélie, une véritable bibliothèque de la chanson comprenant quelques centaines d’études sur la chanson et des chansonniers de toutes sortes.
  • Le matériel typographique représente une dizaine de cartons contenant des typons, des calques et des négatifs, et environ 150 boîtes contenant des plaques en zinc et en étain, et des pierres lithographiques.

Le fonds Orgeret présente donc un certain nombre de caractères remarquables, liés à la diversité des supports représentés et à son volume important : il est en effet l’un des seuls fonds conservés en bibliothèque en France d’un volume aussi conséquent consacrés exclusivement à la chanson et à la culture populaire ; il présente également la particularité d’offrir une documentation abondante sur l’histoire d’une entreprise dont l’activité était tournée vers la musique, ainsi que sur les techniques d’impression musicale aux XIXe et XXe siècles.

Méthodologie d’étude du fonds

Après le repérage des grandes composantes du fonds, il a fallu définir une méthode générale d’étude. L’analyse des fonds d’archives, rendue possible par l’élaboration d’un pré-inventaire, constitue la base de tout le travaille réalisé : elle a permis d’identifier les activités d’édition et de librairie musicales de l’entreprise et de mesurer son rayonnement, régional essentiellement, mais également plus large, dans la mesure où elle a pu nouer des liens avec des éditeurs, des auteurs et des imprimeurs de diverses régions françaises, et même à l’étranger. Cependant, ces documents étaient parfois lacunaires, ou pouvaient se heurter à des difficultés d’interprétation. Leur analyse a pu être complétée par un entretien avec des témoins de l’activité de l’entreprise.
Les fils de Max Orgeret sont encore en vie. Il s’agit de Jacques Orgeret, qui a tenu la boutique après la mort de son père, jusqu’à sa fermeture en novembre 2004, et de Daniel Orgeret, qui était médecin, et que j’ai pu rencontrer à la mi-novembre 2005 : son témoignage a permis d’identifier certains documents dont le contenu était difficile à interpréter. Il a également apporté des éclaircissements sur les méthodes de travail de son père et de son grand-père, permettant de mieux appréhender l’organisation générale des dossiers d’archives, et confirmé la multitude de logiques de classement utilisées : par exemple, les cessions de droits, documents par lesquels un auteur cède une partie de ses droits à l’éditeur de ses œuvres, sont soit regroupées dans des classeurs, de façon chronologique lorsque la boutique était tenue par Jean-Marie Orgeret, ou alphabétique lorsqu’elle l’était par son fils Max, soit dispersées dans des dossiers consacrés aux auteurs et compositeurs édités par l’entreprise ; de façon plus générale, les documents peuvent être regroupés de façon thématique, par auteur ou par type de support (correspondance, cessions de droits, bulletins de déclaration d’éditeur à la SACEM), ou bien par date : c’est ainsi que des documents hétéroclites, programmes de spectacles, cartes de visites, partitions, ainsi qu’un bulletin paroissial, se côtoient dans un même dossier, avec pour seul point commun de dater des années 1941-1942. L’entretien avec Daniel Orgeret a ainsi confirmé que son père Max ne classait pas ses dossiers selon une logique définie une fois pour toutes, mais qu’il a sans cesse imaginé de nouvelles méthodes de classement.

Les activités de l’entreprise

Les documents d’archives de la maison Orgeret se rattachent aux différentes activités que pouvaient avoir une maison d’édition et une librairie musicale de la fin du XIXe siècle à la seconde moitié du XXe siècle. Ils sont mêlés à quelques dossiers d’ordre personnel consacrés, par exemple, à un héritage, à la scolarité de l’un des fils de Max Orgeret ou à l’hospitalisation de la mère de ce dernier.
On trouve également dans ces documents des supports annexes qui renvoient à des activités de la famille en rapport avec le monde du spectacle à Lyon ou en France : photos d’artistes dédicacées ou non, programmes de spectacles et de galas, organisés dans le cadre de cercles ou d’associations dont faisait partie Max Orgeret en raison de ses activités professionnelles.

Les activités d’édition de Lyon-Chansons

Les documents d’archives de Lyon-Chansons comprennent d’abord la comptabilité de la librairie et de la maison d’édition, qui se combine aux comptes privés de la famille Orgeret : ceci s’explique par le caractère familial de l’entreprise, dont l’ensemble des activités était géré à l’aide d’un seul compte en banque.
Une grande partie des dossiers d’archives de la maison Orgeret ont d’abord trait aux travaux d’édition de Lyon-Chansons proprement dits. Ces activités d’édition se sont réduites à partir de la fin des années 1950, et la maison Orgeret, après la mort de Max Orgeret en 1978, s’est tournée exclusivement vers ses activités de librairie en écoulant les stocks déjà présents en magasin.
Parmi ces documents :

  • D’abord, certains dossiers sont consacrés aux auteurs et aux compositeurs édités par la maison Orgeret. Ces dossiers traduisent les rapports que ces auteurs ont entretenus avec la maison d’édition : on y trouve des manuscrits, ainsi que de la correspondance de Jean-Marie ou Max Orgeret avec ces auteurs ou ces compositeurs, et des cessions de droits. Ces cessions de droits sont réparties entre les dossiers consacrés exclusivement aux auteurs, et des classeurs séparés où elles sont classées par ordre chronologique ou alphabétique.
  • D’autres dossiers sont en lien avec les tâches administratives d’une maison d’édition : certains sont consacrés au dépôt légal, d’autres à des sociétés comme la SACEM-SDRM, l’Edifo (Société générale internationale de l’édition phonographique et cinématographique), le BIEM (Bureau International des Sociétés Gérant les Droits d’Enregistrement et de Reproduction Mécanique). Ces dossiers contiennent les statuts et bulletins trimestriels de ces sociétés, des contrats d’adhésion, de la correspondance, ainsi que des déclarations d’éditeurs à la SACEM.
  • Dans le cadre de ses activités d’édition, la maison Orgeret a également travaillé en collaboration avec des imprimeurs, des graveurs, et des dessinateurs comme Cocard et Philippon. C’est ainsi qu’un certain nombre de dossiers d’archives ont trait au travail d’impression des documents édités : des classeurs entiers sont consacrés à la correspondance que Jean-Marie ou Max Orgeret ont pu avoir avec des imprimeurs de musique, ainsi qu’à des factures à leur payer pour l’impression d’une oeuvre ; d’autres dossiers contiennent exclusivement des clichés destinés à illustrer des partitions. On trouve également dans le fonds des illustrations originales.

De façon générale, les dossiers d’archives, et plus particulièrement les dossiers consacrés aux auteurs, contiennent un certain nombre de supports retraçant les étapes qui menaient à l’édition d’un document : textes et partitions manuscrits, clichés, maquettes de partitions, calques et négatifs, épreuves imprimées corrigées, partitions imprimées. Ces supports sont par ailleurs contenus en plus grand nombre dans d’autres cartons consacrés exclusivement au matériel d’impression : typons sur cellophane qui servaient à tirer des épreuves imprimées sur fond bleu ; ces épreuves étaient ensuite corrigées avant impression définitive ; à ces documents s’ajoutent des négatifs, où la musique et éventuellement le texte apparaissent en blanc sur fond noir. Outre les typons et les épreuves sur fonds bleu, 150 boîtes contiennent des plaques se rattachant à des techniques d’impression typographique : plaques en zinc ou en étain, clichés en similigravure, pierres lithographiques.
Le fonds Orgeret offre ainsi un aperçu des rapports qui ont pu être entretenus avec des imprimeurs et des graveurs de musique, ainsi que des échantillons de documents retraçant les étapes de l’impression d’une œuvre, du manuscrit à l’exemplaire imprimé.

La librairie musicale

Une partie des dossiers d’archives de l’entreprise Orgeret se rapporte aux activités de la librairie musicale :

  • Il s’agit d’abord de la correspondance avec des clients de l’entreprise, particuliers, institutions comme des écoles de musique, ou associations, désirant acheter des partitions ou des textes édités par Lyon-Chansons ou par d’autres éditeurs.
  • Jean-Marie et Max Orgeret ont par ailleurs entretenu une correspondance avec d’autres éditeurs de musique, comme Van de Velde, Max Eschig, ou Salabert, qui vendaient des partitions à l’entreprise, que cette dernière revendait elle-même en magasin. Cette correspondance est à mettre en lien avec la centaine de cartons de textes et de partitions du fonds Orgeret, qui correspondent aux documents vendus en magasin. La maison Orgeret avait également un dépôt chez l’éditeur de musique parisien Marcel Labbé, ce qui lui assurait une audience dépassant le strict cadre régional. Il convient de signaler également quelques liens avec des éditeurs de musique suisses ou américains.
  • Enfin, des catalogues d’éditeurs de Lyon-Chansons et d’autres éditeurs de musique sont contenus dans les dossiers d’archives. D’autres parties du fonds sont par ailleurs consacrées exclusivement aux catalogues.

Un fonds spécialisé dans la chanson et la culture populaire lyonnaise
La maison Orgeret a édité près de 30 000 œuvres de la fin du XIXe siècle aux années 1950. Si elle a collaboré avec des auteurs et des compositeurs de différentes régions de France, beaucoup d’entre eux étaient originaires de Lyon et de la région lyonnaise. Ils ont souvent une notoriété limitée, ou ont peu écrit et peu composé : cela est dû à la fois au caractère régional des œuvres éditées, et au fait que la musique et l’écriture constituaient pour beaucoup d’entre eux un passe-temps, parallèlement à l’exercice d’une autre profession : d’après Daniel Orgeret, certains de ces auteurs et compositeurs étaient médecins, bijoutiers, ou banquiers. Les publics visés étaient divers, aussi bien des adultes que des enfants, auxquels Lyon-Chansons destinait un catalogue spécial.

La chanson

Les sondages effectués dans les cartons de partitions montrent que les chansons représentent la grande majorité du répertoire contenu dans le magasin (on trouve également des arrangements de pièces célèbres d’auteurs classiques pour piano, des opérettes, quelques méthodes instrumentales, des pièces pour accordéon ou petit orchestre (fanfare, musique de bal), et des chorégraphies…). Parmi ces chansons éditées par la maison Orgeret, certains auteurs et compositeurs sont récurrents, comme Félix Antonini, ami de la famille Orgeret, Raoul Barthalay, Mario Cavallero, César Geoffray, Camille Jacquemot, ou Fernand Warms.
Par ailleurs, Jean-Marie et Max Orgeret ont développé et enrichi leurs collections de titres nouveaux et poursuivi leur activité de libraires musicaux sans jamais éliminer les invendus ; Max Orgeret gardait en outre pour sa collection personnelle un exemplaire de chaque titre : cela signifie que les titres contenus dans le magasin au moment de la vente du fonds à la Bibliothèque municipale de Lyon, édités ou non par Lyon-Chansons, représentent un panorama extrêmement large des chansons populaires créées et chantées en France, depuis la fin du XIXe siècle.
Les collections du fonds Orgeret font écho à un autre fonds conservé à la BM de Lyon : il s’agit du fonds discographique France 3 Rhône-Alpes-Auvergne, qui représente 80 000 disques de 78, 33, 45 et 80 tours. Ce fonds, outre des fragments d’actualité locale, comprend des interprétations de chansons dont les partitions sont contenues dans le fonds Orgeret, ou du moins dont les auteurs ou les compositeurs (comme Félix Antonini, César Geoffray, Camille Jacquemot, Périgot-Fouquier ou Léon Raiter), ont édité quelques-unes de leurs œuvres chez Lyon-Chansons. Ce parallèle est intéressant à mettre en valeur dans une perspective d’exploitation ultérieure du fonds.

La culture populaire lyonnaise

Le fonds Orgeret offre également un large panorama de la culture populaire lyonnaise : la maison Orgeret a édité des textes destinés à être récités ou représentés lors de spectacles de variétés aussi bien que lors de fêtes de famille : des blagues, des monologues, des sketches, des pièces de théâtre en un acte, pour enfants et adultes, où des figures populaires lyonnaises telles que Guignol et la Mère Cottivet sont largement représentés. La maison Orgeret a ainsi travaillé en collaboration avec des auteurs comme Albert Chanay, Léopold Morrelière et Ernest Neichthauser, auteurs de pièces de Guignol, et Périgot-Fouquier, qui a écrit des textes mettant en scène la Mère Cottivet ; elle également a noué des liens avec des cercles comme la Société des amis de Guignol, ainsi qu’avec des théâtres où ces pièces sont représentées. Le fonds Orgeret, en même temps qu’une vue très large et exhaustive de la chanson depuis la fin du XIXe siècle, renvoie donc également aux traditions populaires régionales.

Perspectives

Ainsi, le fonds Orgeret est un fonds d’une nature exceptionnelle, par son volume, par la variété des supports représentés, et par son exhaustivité dans les domaines auxquels il se rattache. Voici quelques perspectives immédiates de traitement et de mise en valeur de ce fonds.
Signalement du fonds :

  • Le fonds Orgeret est signalé depuis novembre 2005 sur le site de l’AMDRA (Agence Musique et Danse Rhône-Alpes).
  • Une présentation du fonds, à destination du grand public, vient d’être mise en ligne sur le site de la Bibliothèque municipale de Lyon.

La poursuite du traitement du fonds :

  • Le travail sur les archives, amorcé à l’automne 2005, se poursuit. Elles sont en cours d’encodage en EAD. Les autres parties du fonds devraient être traitées dans les prochaines années.

Caroline Rogier
stagiaire à l’ENSSIB

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