Documentation professionnelle

4. Conception et méthode du RPCF
(répertoire des programmes de concert en France)

Patrick Taïeb et moi avons organisé, de 2001 à 2005, un séminaire consacré à l’histoire du concert en France. C’est dans ce cadre de réflexion et d’échanges que le RPCF a pris forme comme méthode et comme outil. Une méthode pour réaliser et donner une forme précise à un répertoire systématique ; un outil de réflexion historiographique.
Parmi les nombreuses thématiques abordées dans le séminaire, trois ont particulièrement nourri notre travail sur le RPCF. Ces trois thématiques peuvent se résumer sous la forme de trois questions qui se recoupent en partie :

  • Qu’est-ce qu’un concert (et quelles sont les limites entre le concert et d’autres types de productions avec musique comme le bal, les soirées dans un salon, etc.) ?
  • Qu’est-ce qu’un programme de concert ?
  • Quelles sont les sources pour l’histoire du concert en général, et plus particulièrement, pour reconstituer les programmes de concert ?

Le terme programme est central mais ambigu. Il est utilisé pour désigner des choses différentes. Il regroupe en fait trois notions, parfois confuses, qu’il est important de distinguer : le programme-annonce ; le programme-livret ; le programme-structure.

  1. Le programme-annonce est un document publié avant le concert pour prévenir de son exécution et pour donner plus ou moins précisément des informations diverses dont le contenu (c’est-à-dire les compositeurs, œuvres et interprètes). Ce programme-annonce est présent dans la presse mais aussi a longtemps existé sous la forme d’affichettes.
  2. Le programme-livret est un autre type de document. Il est édité pour accompagner le concert et a pour but de préciser ce qui va être joué. Il donne des informations plus ou moins développées sur les auteurs, les œuvres, les interprètes. C’est un guide pour l’auditeur. Ce guide va au fil des ans comporter un texte de plus en plus rédigé et abondant, comprenant des éléments historiques, analytiques et esthétiques. (Il serait d’ailleurs intéressant de produire une histoire du programme-livret, selon les périodes, les genres de concert, les pays, etc.).
  3. Le programme-structure n’est pas un document historique. En effet, si programme-annonce et programme-livret sont pour nous des sources, le programme-structure est lui le fruit d’une élaboration à partir des sources. Après une enquête historique, une analyse de sources et une systématisation des données et de leur présentation, il établit et présente le contenu du concert : c’est-à-dire ce qui a été effectivement joué, qui l’a joué, où et dans quel ordre.

Le but du RPCF est de reconstituer de vastes ensembles de programmes-structures afin de permettre une nouvelle connaissance du répertoire de concert.

Nous avons mis au point un « mode d’emploi » de 50 pages qui précise notre démarche et notre méthode. Ce mode d’emploi est le résultat de nombreuses discussions. Il a profité des avis de nombreux musicologues, historiens, conservateurs de bibliothèque de provenances diverses. Le but était de profiter des expériences isolées et des compétences diverses pour élaborer une méthode commune.
Nous avons abandonné, provisoirement, le principe d’une base de données, afin de produire des résultats unifiés par un corpus spécifique, une période, un lieu, une association, etc. Le RPCF est donc une série de livres caractérisés par l’unité de la méthode et l’autonomie de chaque volume.
Unité, car des normes communes sont nécessaires pour mettre en commun les résultats, pour les comparer, pour ne pas aboutir à des ensembles disparates, et pour éviter à chacun de réinventer une méthode isolée. L’unité permet aussi la constitution d’index communs qui permettront de circuler dans l’ensemble du RPCF.
Autonomie, car chaque livre est défini, comme je le disais : par un espace géographique ; par des limites chronologiques établies en fonction de l’histoire locale (et non plaquées pour coller à un découpage « extérieur ») ; par un corpus de sources choisies en connaissance de l’état local des fonds ; par un critère de faisabilité.

À ce sujet, il est évident que la situation du concert autour de 1800 et autour de 1900 a énormément changé. On assiste à une diversification et multiplication des concerts mais aussi à une diversification et multiplication des sources sur les concerts et à une augmentation du niveau de précision de ces sources. Le développement de la presse et des publications sur la musique, le développement des programmes-livrets changent la donne et doivent modifier notre traitement des informations. Pour avoir une idée de l’extraordinaire expansion du concert, je donnerai deux chiffres : entre octobre 1794 et décembre 1803, soit sur l’espace de neuf années, le RPCF a permis la reconstitution de 416 concerts. Ce qui est une avancée considérable en terme de connaissance de la vie de concert à Paris. En 1865, un journaliste comptabilise pour la seule ville de Paris et en seulement sept mois (de janvier à juillet), 450 concerts.

Le RPCF a pris forme à partir d’une grille simple mais décisive pour sa conception et sa réalisation.

Jour quantième mois année
[1er concert = une notice= un n° ]

  1. « nom » du concert (série, n° ), orch., dir., chœur, dir., lieu, heure
    [zone uniforme]
  2. Programme reconstitué et normalisé
    [zone source]
  3. Annonces dans la presse
  4. Comptes rendus dans la presse
  5. Archives

[2e concert= une notice= un n° ]

  1. « nom » du concert (série, n° ), orch., dir., chœur, dir., lieu, heure
    [zone uniforme]
  2. Programme reconstitué et normalisé
    [zone source]
  3. Annonces dans la presse
  4. Comptes rendus dans la presse
  5. Archives

Jour quantième mois année
[1er concert = une notice= un n° ] etc…

Cette grille est organisée chronologiquement. Sous une date, sont indiqués le ou les concerts ayant eu lieu à cette date précise. Chaque concert est traité à la manière d’une œuvre et correspond à une notice numérotée. Puis, les informations sont divisées en deux zones : zone uniforme et zone source.

La zone uniforme (voir encadré ci-dessous) comprend : le nom du concert, avec lieu, heure et prix, si cela est possible, puis le déroulement du concert (qui correspond au programme-structure). Il s’agit d’une forme reconstituée, normalisée à partir d’autorités pour les noms de personnes et les titres d’œuvres. Le programme que nous donnons est le résultat d’une synthèse des informations contenues dans les sources et d’un apport scientifique (attribution des œuvres, complément d’informations sur les titres, les auteurs, les interprètes). Ce programme est éventuellement complété par une note précisant, par exemple, les morceaux bissés, ou nouveaux. On peut y argumenter une identification, mentionner des sources en conflit, etc.

Samedi 29 novembre 1794 / Nonidi 9 frimaire an III
5

Concert Feydeau (3e an III), rue Feydeau.

  1. Gluck (Chr. W.), Iphigénie en Aulide, Ouverture
  2. Mengozzi (B.), Scène. – Mengozzi (B.)
  3. Dussek (J. L.), Concerto pour pianoforte. – Gaillot (Mme C.)
  4. Sarti (G.), Scène. – Garat (P.)
  5. Kreutzer (R.), Le Siège de Lille, Chœur. – Chateaufort
  6. Haydn (J.), Symphonie
  7. Mengozzi (B.), Rondeau « Crudel destino ». – Mengozzi (B.)
  8. Viotti (G. B.), Concerto pour violon. – Rode (P.)
  9. Cherubini (L.), Scène. – Garat (P.)
  10. Garat (P.), La Complainte du Troubadour (romance). – Garat (P.)

Notes : 2. et 7. « nouv. » ; 10. Cf. notice 79, 10. (notes)

Cette zone vise à identifier œuvres, auteurs et interprètes, mais aussi à préciser l’ordre dans lequel les morceaux sont exécutés. La notion de numéro dans l’évocation d’un programme de concert par la presse est souvent liée à l’interprète. Le RPCF numérote systématiquement chaque morceau. En effet, un programme n’est pas seulement une liste neutre. Il comporte aussi une sorte de « dramaturgie du concert », qui évolue avec le temps et constitue la base de l’art de la programmation. Un programme est construit selon une loi d’alternance des effectifs par exemple, ou selon une trajectoire du concert et l’idée de conclure par un morceau brillant. Quand c’est possible, la liste des morceaux est divisée par un espace blanc central qui permet de distinguer les deux parties du concert.
La zone source (voir encadré ci-dessous) présente le relevé des documents sur lesquels se fonde la zone uniforme. Le texte est donné entre guillemets sans intervention. Les sources peuvent être de diverses natures. Elles peuvent être antérieures ou postérieures à la date du concert, mais sont réunies à la date du concert dont il est question. Les Annonces regroupent les éléments parus avant le concert mais parlant du concert à venir. Les Comptes rendus réunissent les textes évoquant ou critiquant le concert ayant eu lieu.
Pourquoi donner le texte et ne pas se limiter à donner la référence de la source ? Tout d’abord, la citation de la source permet de suivre l’articulation à la zone uniforme. Pour les périodes antérieures au milieu du xixe siècle, les informations dans la presse sont éparpillées, parfois délicates à retrouver. En citant les chroniques parlant des concerts, le RPCF donne accès à ces sources et permet d’insérer le programme dans la vie de concert. Il rétablit de la sorte la qualité d’événement du concert, qui est une exécution devant un public dans une société donnée qui aborde la musique comme manifestation mondaine, divertissement, spectacle, exhibition, tour de force, plaisir raffiné, expérience émotionnelle, etc.

Ces sources mêlent faits et critiques, informations et appréciations. Leur lecture restitue des pratiques, témoigne de goûts, apporte des connaissances annexes. Ainsi évite-t-on de recommencer un dépouillement de presse pour étudier par exemple le discours sur la musique et le concert, la réception critique, etc. En outre, la citation des sources restitue le vocabulaire propre à une époque, notamment les appellations des concerts : matinée, soirée, séance, Lundi de Mme X, etc. Elle donne à suivre l’évolution de la place de la musique dans la presse. On passe en effet du bulletin de mondanité allusif à des annonces plus ou moins précises, puis à des comptes rendus parfois très fournis et érudits. Enfin, le style, la forme, les habitudes, les allusions ne prennent sens pour nous que dans leur répétition. L’interprétation d’une source pour unconcert est liée à la connaissance plus globale des usages du temps.

Annonce
« Théâtre de la rue Feydeau. Auj. CONCERT. Première partie : Ouverture d’Iphigénie en Aulide. Le cit. Mengozzi chantera une nouvelle scène de sa composition. La cit. Céleste Gaillot exécutera un concerto de Forte Piano de la composition du cit. Dussek. Le cit. Garat chantera une scène de Sarti. On exécutera le chœur du Siège de Lille, musique de Kreutzer. La partie principale sera chantée par le cit. Châteaufort. Seconde Partie. Symphonie d’Haydn. Le cit. Mengozzi chantera un nouveau rondeau de sa composition. Le cit. Rode exécutera un Concerto de Violon de Viotti. Le cit. Garat chantera une scène du cit. Cherubini. »
(AAA, 9 frim. an III / 29 nov. 1794)

Comptes rendus
« Spectacles. / Concerts. / Depuis trois décades, on donne, tous les nonidis, sur le théâtre de la rue Feydeau, un concert qui attire une si grande affluence, que, pour parvenir à se procurer des billets d’entrée, il faut se morfondre sous le portique pendant trois ou quatre heures au moins. De grands artistes, il est vrai, déploient tous leurs talents dans ces concerts si variés : et les Français, qui n’ont point cessé d’être enthousiastes, y viennent applaudir avec un délire qui tient de la fureur. / Trois artistes, déjà bien connus, réunissent surtout les suffrages. / Garat, le premier de nos chanteurs français, y fait entendre cette voix douce, flexible, dont les accents pénètrent au cœur. Si elle est moins étendue que celle de l’Italien David, elle est plus égale, plus tendre : elle étonne moins ; elle touche davantage. Il chante avec plus de simplicité que Viganoni, avec plus de goût, quoiqu’il fasse aussi, lui, un trop fréquent usage de ce que l’on appelle des roulades ; ornements que l’on croit bien à tort inséparables des ariettes italiennes. / Mengozzi y soutient sa réputation. Sa voix est bien moins forte, moins brillante que celle de Garat : mais il prononce l’Italien avec plus de grâce, moins d’affectation (c’est sa langue). Il roucoule plutôt qu’il ne chante. – Ce sont ordinairement des morceaux de sa composition qu’il exécute. […] »
(DP, t. 3, 20 frim. an III / 10 déc. 1794)

Inversement, dans les cas de fonds de programmes bien conservés et accessibles, d’une documentation riche et continue, d’une période plus proche de nous, on peut imaginer des références aux sources plus succinctes. C’est ce qu’a fait Yannick Simon pour son livre sur L’association artistique d’Angers entre 1877 et 1893.

Pour conclure ajoutons que la mise en réseau, la constitution d’une base à partir des RPCF-livres, pourrait comporter des zones de complément permettant de copier ou de donner les références de nouvelles sources.

Hervé Lacombe,
Professeur à l’Université de Rennes

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